Art premier : conférences & confidences

C’est à l’initiative d’André Furlan, collectionneur, président de l’Association William Blake France, que 250 pièces rares prove-
nant des peuples africains, amérindiens, océaniens, asiatiques
sont offertes à la curiosité du public à Nérac du 1er juillet au 15 septembre 2020.
Les œuvres interpellent par leur rôle dans la vie quotidienne : statues, masques, parures, objets rituels saisissent par leur force symbolique et leur mystère. Le travail de muséographie, c’est-à-dire la mise en perspective des fondements historiques, patrimo-niaux, symboliques, techniques est remarquable. De par son expérience et ses connaissances, André Furlan commandite cette exposition : sélection des pièces, trame narrative, commentaires associés à chaque œuvre, distribution et mise en valeur. Lorsqu’il
a eu pris connaissance des pièces que nous avions rapportées de nos séjours en Afrique occidentale et équatoriale, son enthousIasme a été instantané. 

André Furlan, organisateur et président de l’Association
William Blake, entre mon épouse Jolayne et moi-même

Et d’associer au prêt de nos objets la demande spontanée faite à mon épouse et moi-même : « voulez-vous intervenir en tant que collectionneurs, c’est-à-dire témoigner de l’histoire de vos objets et de l’intérêt qu’ils représentent ? »
Je dois avouer que notre réponse ne fut pas instantanée. Nous ne sommes pas des confé-renciers au sens de la trans-mission d’un savoir relevant d’une expertise reconnue, seulement
des particuliers qui manifestent un intérêt historique et culturel pour les coutumes et les traditions des peuples. Cependant, le défi nous a plu dans sa dimension d’approche vulgaire, au
sens de « vulgate », c’est-à-dire commun, populaire. Ce dont nous assumons à la fois les côtés amateur et sincère.
Extrait de la brochure de l’exposition : « L’art premier, expression que nous devons au collectionneur et marchand d’art Jacques Kerchache en 1970, est l’art des sociétés sans écriture, primitives[…] Les styles alternent entre expressionnisme et réalisme. Dans la plupart des cas, l’objet d’art participe d’une hiérarchie religieuse ou politique ».

Le lieu

Bâti au XIXe siècle, cet hôtel particulier affiche 800 m2 de superficie. Au milieu du même siècle, il est devenu le siège de la sous-préfecture de Nérac jusqu’à ce que les Domaines récupèrent l’ensemble constitué également d’anciennes écuries et d’un jardin arboré.
L’exposition a pris place au rez-de-chaussée qui comprend de vastes volumes. En procédant ainsi à cette exposition grâce au prêts de 12 collection-neurs, « nous dévoilons des œuvres inconnues qui représen-tent des découvertes pour certains historiens » (André Furlan). Chaque objet est accompagné d’une fiche de présentation qui fournit l’origine, la composi-tion, la symbolique et les rites attachés. Dans l’entrée, des membres de l’Association rappellent les précautions à respecter du fait de la pandémie de la covid-19.

Munie du ticket qui ouvre droit à assister aux conférences, la très nombreuse assistance (il faut ajouter des sièges jusque dans l’entrée) prend place dans la salle où sont positionnées les œuvres qui font l’objet de nos interventions publiques.
Quelques jours auparavant, j’ai été interviewé par FR3 Aquitaine. Extraits : « Au milieu de toutes ces merveilles, l’une d’entre elles attire l’œil dès qu’on franchit le seuil de la sous-préfecture. Le masque bamiléké Mbapteng (Cameroun) prêté par Jolayne et Philippe Saubadine. Le couple, qui réside à Biarritz après avoir vécu près de vingt ans en Afrique noire (Gabon, Cameroun, Nigeria, et Angola), explique : Tous ces pays ont une très grande richesse créatrice. Tout ce qui est lié à l’objet africain est symbolique. Ces pièces ne sont pas dans des musées car les Africains vivent et meurent avec ces objets rituels […] C’est la première fois qu’il donne à voir dans une exposition une partie de sa collection privée : Nous ne faisons pas visiter chez nous alors nous les prêtons pour partager, dans un cadre éducatif. Cela permet aux gens qui ne sont jamais allés en Afrique de comprendre en quoi cela consiste »


Nous avons l’honneur d’être présentés par Christian Moulié, lauréat du Jasmin d’Argent et artiste gascon dont les récitals maintiennent vivantes les traditions rurales. Et cette réputation lui a valu de se voir léguer l’un des plus grands fonds privés de partitions musicales, véritable trésor patrimonial qui cumule de l’ordre de 50 000 chansons, opéras, opérettes. Parmi cette collection, deux cents œuvres sont dédicacées de la main des compositeurs, leur conférant une authenticité aussi émouvante qu’historique. Afin d’en assurer le recensement exhaustif et la préservation, Ch. Moulié a créé le Conservatoire des partitions anciennes.

Fragments de la conférence : la symbolique des animaux au travers du masque Mbapteng (ou masque éléphant)

A l’origine du peuple bamiléké, il y a les Baladi, ethnie issue de Haute Egypte qui s’est exilée au IVe siècle poussée par l’invasion romaine. Ils migrent en direction du sud, tra-
versent le royaume de Méroé (Soudan actuel),
la partie du Sahel qui correspond au Tchad d’aujourd’hui et, après plusieurs périodes de sédentarisation, s’établit sur les hauts plateaux
de l’ouest du Cameroun dénommée région des Grassfields.


Pour les Bamiléké, le masque de l’éléphant est la quintessence du chef car ce dernier représente l’autorité suprême : chef de guerre, prêtre, juge. Par sa force et sa longévité, l’éléphant est considéré comme représentatif des vertus royales. Le masque n’a de sens que rattaché au mythe : il est pourvoyeur de rites. Ainsi les initiés appartenant à la société secrète Kuosi ont seuls le pouvoir de métamorphose et d’intermédiaire entre les forces vitales et les forces occultes. Ils captent les énergies spirituelles de l’animal-symbole, et les intériorisent, les contrôlent pour attirer sa bienfaisance ou repousser les sorti-lèges. Afin de se prémunir, le porteur de masque sacrifie aux ablutions rituelles et à la préparation par le jeûne, l’abstinence, les décoctions.
Le masque se présente sous la forme d’une cagoule prolongée, sur le devant et derrière, par deux longs pans rectangulaires. La décoration polychromique est signe de la richesse des sociétés secrètes. Les perles sont cousues sur une étoffe de coton ou sur d’autres fibres végétales disponibles : écorce, raphia, feuilles d’ananas, feuilles d’hibiscus. Elles dessinent des motifs géométriques – losanges, croisillons, traits obliques – et sont réparties de manière symétrique.



(vues d’une partie de l’assistance)

La tête arbore deux larges oreilles circulaires qui sont cousues de part et d’autre de la cagoule. Les yeux, le nez et la bouche sont stylisés et colorés de manière à bien ressortir pendant la danse rituelle dénommée le tso. L’initié dompte la magie dans une évolution balancée par les mélopées en secouant le pan avant tel la trompe de l’éléphant et en agitant fortement les oreilles – manifestation typique de la colère de l’animal. Le masque exposé a été porté lors de cérémonies qui ont eu lieu dans une chefferie bamiléké et m’a été offert lorsque nous avons quitté Douala.

Question : quels sont les autres animaux en lesquels l’initié peut se métamorphoser ?
– La transmutation est fonction de la cérémonie et du message que l’initié doit communiquer. Il y a le python, symbole religieux et de sorcellerie, la panthère qui incarne la justice et la protection, le buffle pour la puis-sance et la vengeance.
Question : existe-t-il un lieu particulier pour les cérémonies d’initiation ?
– Oui. L’initiation est le passage d’un état à un autre considéré comme supérieur. Il existe trois sortes d’initia-tions :  l’initiation tribale qui est le passage de l’état pubère à l’état adulte ; l’initiation religieuse qui autorise l’entrée dans la société secrète ; l’initiation magique qui donne l’accès à des pouvoirs surnaturels. Les futurs initiés sont isolés dans un lieu sacré, le plus souvent un endroit situé en brousse et frappé d’interdit. Pour l’initiation religieuse, cela se passe dans la hutte consacrée et elle est accompagnée par l’ingestion de plantes hallucinogènes telles que l’iboga au Gabon.

Fragments de la conférence : la représentation du couple royal Béni Edo au royaume du Bénin

C’est depuis l’attaque de l’armée britannique en 1897 contre la ville d’Edo, capitale du royaume du Bénin – aujourd’hui appelée Benin city -, que l’art du Bénin est réputé pour la finesse de ses œuvres figuratives et pour son influence sur la culture africaine. Ce sont 2 500 objets d’art du trésor royal qui furent alors pillés
et envoyés à Londres. En dépit de la marginalisation qui date de la colonisation, le souverain actuel Ewuare exerce une autorité spirituelle sur son peuple et jouit d’une grande estime sur tout le continent.
Au XIIe siècle, le royaume du Bénin s’étendait sur les états actuels du Togo et du Bénin ainsi que sur la partie du Nigeria qui est située au sud-ouest du fleuve Niger.


Après 35 générations d’Ogiso, les dignitaires font une révolution de palais en mettant en doute l’ascendance divine du dernier souverain de la lignée. Ils se tournent alors vers la ville sainte d’Ifé, en territoire yoruba, pour y trouver un roi digne du peuple Edo. Ce sera le premier Oba, nom qui signifie Roi en langage yoruba.
La très en vue corporation des artisans ne travaille que pour le couple royal qui passe commande des objets rituels. S’ils reçoivent des demandes de dignitaires de la cour, ils ne peuvent y répondre qu’avec l’assentiment de l’Oba.

Les maîtres-fondeurs Edo maîtrisent l’antique procédé de la fonte à la cire perdue dont la technique rudimentaire est encore utilisée de nos jours. L’alliage de laiton, de cuivre et de plomb pour fabriquer le bronze est porté à la tempé-rature de fusion (1 100 °C) dans un four creusé à même le sol et est versé dans les canaux libérés par la cire préalablement fondue.
Ces têtes commémoratives représentent les anciens souverains auxquels l’Oba régnant doit faire ses dévotions. Ces bustes ont une valeur métaphorique très forte et incarnent le caractère sacro-saint du royaume. L’autel était paré du couple royal précédant qui communique par l’esprit des têtes et ainsi assurait
la prospérité du peuple.

Le roi : la coiffe porte les appendices en forme de cornes, rappel de la vertu guerrière de l’Oba. Deux « ailettes » sont piquées de chaque côté, qui ont été introduites dans les années 1800 par l’Oba Osemwende.  Cette particularité permet de dater le buste avant ou après le XIXe siècle. Il porte une cote de maille recouverte de colliers de perles de corail (signe de richesse) dont certains sont munis de clochettes.
La reine : on retrouve la même finesse d’exécution dans le travail de
la coiffe. Elle arbore également des colliers de perles de corail et des clochettes (symboles de l’ordre).
Les créations artistiques du peuple Edo sont considérées comme l’un des plus grands trésors de l’humanité et figurent parmi les œuvres maîtresses des musées européens.

Question : comment vous êtes-vous procuré des deux bustes puisqu’ils sont dévolus à demeurer sur l’autel Oba ?
– En préalable, je dois dire que toutes les pièces que nous avons rapportées ont bénéficié des autorisations requises par les autorités locales et ont été déclarées en douane à l’arrivée en France. Depuis la reconnais-sance de ces objets en tant qu’œuvres d’art, il s’est créé un marché que le musée Branly a suscité de par ses expositions et les ouvrages édités sur le sujet. Et le marchand local qui nous les a procurés avait pour référence un livre rare écrit en anglais dont nous savions qu’il faisait autorité en matière d’objets.

Question : cette région dont vous nous parlez a été le point de départ de la traite massive des Noirs par les musulmans. L’esclavage existe-t-il encore ?
– Dans le delta du Niger où nous avons vécu, l’escla-vage est toujours pratiqué sous la forme religieuse par le groupe isla-miste Boko Haram. Et les jeunes filles sont enlevées pour servir d’esclaves sexuelles. Souvenez-vous du rapt de quelque 200 lycéennes chrétiennes en 2014. Pour revenir à la traite que vous avez mentionnée, sachez que ce sont les Yoruba qui ont importé le vaudou en Haïti, à Cuba et sur le continent américain suite à la traite.
Compte tenu de l’énorme affluence, j’ai été amené les deux dimanches matin à prendre des petits groupes de personnes pour un commentaire privé.
En alternance avec moi, mon épouse a évoqué « le peuple Sénoufo et le masque zoomorphe » en Côte d’Ivoire – combinaison de représentations symboliques d’animaux censés faire fuir les esprits qui empêchent l’âme de quitter le corps après le décès – et « le culte des défunts au travers du reliquaire Mahongwé » au Gabon – figure support du panier qui permet de transporter les ossements des ancêtres.

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